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A. Le produit commercialiséAfin de bien comprendre les enjeux du
commerce de mangue, il est primordial de garder à l’esprit les caractéristiques
du produit commercialisé. Il existe 40 variétés de mangues dans la région de
Niéna, et près de 500 dans le monde entier. Dans le cadre de cette analyse
nous nous intéresserons uniquement aux mangues qui offrent des opportunités de
commercialisation pour les planteurs de la CPMG : la mangue ordinaire, la
mangue greffée et la mangue Laban. Les planteurs estiment qu’un hectare de
manguiers produit entre 10 et 20 tonnes de mangues par an, selon que l’année
est bonne ou mauvaise. La coopérative possède environ : Néanmoins, ces grandes variétés de mangues se déclinent en de multiples sous variétés, de qualités et de poids différents. Or, une commercialisation réussie suppose que les mangues acheminées vers Mopti soient d’une qualité homogène, afin de faciliter les négociations avec les acheteurs (cf. paragraphe C). La coopérative doit donc imposer à ces planteurs que seuls les fruits d’un calibre bien défini soient récoltés, les fruits ne correspondant pas à ce standard devant être refusés. Enfin, il faut toujours garder à l’esprit que la mangue est un fruit périssable, ce qui limite considérablement ses possibilités d’exportation et de commercialisation. Selon les variétés, les fruits peuvent être conservés entre 3 et 10 jours après avoir été cueillis. De plus, le moindre choc subi par la mangue, que ce soit lors de la récolte, du chargement ou lors du transport, accélère sa dégradation et son pourrissement. Selon les estimations des producteurs, 1/6 des mangues récoltées sont gâtées dans le processus d’acheminement des fruits vers Mopti. Cela suppose que seules les mangues en excellent état soient chargées dans le camion. Autrement dit, seules les mangues cueillies directement sur les arbres doivent être conservées, les mangues ramassées à même le sol risquant d’avoir été abîmées dans leur chute. Ce point est particulièrement important puisque les fruits sont chargés en vrac dans le camion et qu’une mangue pourrie risque de contaminer une partie du chargement. B. L’offre : les producteurs de manguesLa CPMG regroupe environ 150 producteurs de mangues possédant chacun au moins un hectare de plantations. Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, les planteurs ne trouvent pas de débouchés au niveau local et les revenus de leurs maigres ventes suffisent à peine à assurer leur survie et celle de leurs familles. La coopérative à donc entrepris de faciliter les actions de solidarités entre les planteurs ; lorsque l’un d’eux est en difficulté il peut compter sur la générosité de ses confrères pour l’aider. L’esprit d’entraide qui a germé au sein de la coopérative est l’un des avantages concurrentiels de la CPMG. En effet, les producteurs préfèrent désormais vendre leurs fruits à la coopérative et participer à une entreprise dont ils seront les premiers bénéficiaires plutôt que de s’associer à la concurrence privée.
Cependant, les entrepreneurs privés (il est impossible pour l’instant d’estimer leur nombre et leur surface financière et opérationnelle), proposent des conditions d’achat plus intéressantes que la coopérative. Bien que les prix offerts aux planteurs soient inférieurs à ceux de la CPMG (25 CFA les 5 mangues contre 25 CFA les 6), ils payent la marchandise au comptant. La coopérative, elle, est souvent obligée d’acheter les fruits à crédit. Compte tenu de la détresse dans laquelle ils vivent, on comprend que les planteurs vendent les meilleurs fruits à ceux capables de les payer sur le champ. Ce point est particulièrement problématique. En effet, la CPMG, dès lors qu’elle paye les mangues à crédit, n’est plus en mesure d’imposer ses conditions aux planteurs. On a vu plus haut que l’homogénéité des biens acheminés à Mopti est un facteur clé du succès de l’entreprise. Donc, si la CPMG n’est pas en mesure d’obtenir des planteurs qu’ils livrent des fruits de même qualité et de même calibre, c’est la réussite commerciale de l’opération qui est en danger. Il est impératif que la coopérative ait toujours une trésorerie suffisante pour payer au comptant les mangues qu’elle achète puisque c’est la seule garantie d’obtenir la meilleure qualité de fruit. Le succès de l’opération en dépend. Une fois que les conditions d’achat proposées par la coopérative seront équivalentes à celle des investisseurs privés, la CPMG pourra indiscutablement compter sur la fidélité de ses membres qui bénéficient déjà des mécanismes de solidarités mis en place par la coopérative. C. La demande : l’Association des Acheteurs de Mopti Compte tenu de l’état des routes au Mali, le fleuve Niger s’est imposé comme un axe stratégique du commerce entre les différentes régions du pays. La ville de Mopti, située au bord du Niger, est donc devenue une plateforme d’échange entre le Nord et le Sud. De plus, l’unique axe routier qui relie Sikasso et Bamako à Gao et Tombouctou passe par Mopti. Autrement dit, l’ensemble des marchandises qui circulent entre ces villes transite un jour ou l’autre par Mopti. De nombreux produits font l’objet d’un commerce à Mopti mais dans les paragraphes qui suivent nous nous intéresserons uniquement au négoce de mangues. Les acheteurs avec lesquels la CPMG traite se sont regroupés au sein d’une association que nous appellerons : l’Association des Acheteurs de Mopti (AAM). Les membres de l’association s’accordent sur les conditions d’achat qu’ils proposeront aux vendeurs de mangues afin de limiter la concurrence entre eux et de fixer les prix qui leur conviennent. Le business de ces commerçants est double : il consiste d’une part à acheter des mangues acheminées depuis la région de Sikasso pour les revendre ensuite à des piroguiers qui font route vers Gao et Tombouctou. D’autre part, les membres de l’AAM possèdent un grand nombre d’entrepôts qu’ils louent aux vendeurs de mangues pour qu’ils puissent stocker leurs marchandises en attendant de trouver des acheteurs.
En économie, un oligopsone est un marché sur lequel un petit nombre d’acheteurs se trouve face à un grand nombre de vendeurs. C’est une situation assez rare qui est symétrique de celle, plus courante, de l’oligopole dans lequel un petit nombre de vendeurs fait face à de nombreux acheteurs. L’AAM à Mopti est en situation d’oligopsone puisque ses membres centralisent la quasi-totalité de la demande de mangues de la ville. Il existe bien des commerçants indépendants mais leur pouvoir d’achat est négligeable et ne peut pas influencer les conditions fixées par l’AAM. Par conséquent, le pouvoir de négociation des membres de l’association des acheteurs est très important. Leur position de force est d’ailleurs consolidée par deux facteurs : la nature du produit échangé et une offre soutenue. La mangue étant un bien périssable, si les vendeurs de mangues refusent les conditions de l’AAM, ils sont condamnés à voir leur chargement pourrir sur place, faute de débouchés. Ensuite, tout au long de la saison (mars à juillet) il arrive en moyenne un camion tous les trois jours, donc si un vendeur discute les conditions d’achat de l’AAM, cette dernière n’a pas à attendre longtemps avant qu’un second chargement se présente pour concurrencer le premier. La CPMG doit s’accommoder de cette asymétrie des rapports de force et accepter les conditions de l’AAM. Or le maître mot dans le commerce de mangue est la qualité. Si les mangues proposées sont de mêmes variétés, de même qualité, de même calibre et de même maturité, les difficultés s’aplanissent et les vendeurs peuvent espérer écouler leur chargement tout entier à l’AAM à des conditions intéressantes - selon les membres de la coopérative le prix d’achat unitaire proposé par l’AAM pour des fruits de bonne qualité se situe entre 20 CFA et 25 CFA. Dans le cas inverse, l’AAM durcit ses conditions d’achat et les vendeurs sont obligés d’écouler leur marchandise au rabais auprès de vendeurs indépendants. Le succès commercial de la CPMG est très largement assujetti à la qualité des mangues acheminées. Compte tenu de sa position de force, l’AAM peut obliger ses fournisseurs à lui vendre leurs marchandises à crédit. Elle rembourse ses créanciers lorsqu’elle a elle-même perçue les produits de ses ventes. Il faut donc parfois compter une dizaine de jours avant qu’elle ne s’acquitte de ses obligations : les fruits devant être acheminés par voie fluviales jusqu’aux villes du nord, puis vendus, avant que l’argent ne soit rapatrié. Vendre à crédit est l’une des difficultés principales auxquelles devra se confronter la CPMG. En effet, comme elle doit payer comptant les fruits qu’elle achète aux producteurs, le délai occasionné par la vente à crédit se traduit par des problèmes de trésorerie (nous y reviendrons). Comme nous l’avons déjà signalé plus tôt, environ 1/6 des mangues chargées à Niena se détériorent au cours du voyage. Si l’AAM n’achètent pas le chargement entier, les membres de la CPMG doivent trouver des débouchés pour les fruits avariés. En règle générale, se sont de « vieilles femmes » (c’est le terme utilisé par les membres de la CPMG) qui se chargent de la vente des fruits endommagés. A l’heure actuelle il est difficile d’estimer les revenus que la CPMG tire de cette filière. A présent que nous avons défini l’environnement et les acteurs du commerce de mangue, nous tenterons de décrire le déroulement d’un voyage type. |
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