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Le
pouvoir dans le village
Cela
fait huit ans que Mr Adama Diallo est le chef du village, on lui a attribué
cette responsabilité en 1997. Il s’occupe principalement de gérer les
conflits entre familles, voisins et communautés au sein du village. Dans ce
cas, il réunit ses conseillers pour trouver une solution. S’ils
n’en trouvent pas, il s’en réfère à la mairie qui, si à son tour
n’arrive pas a résoudre le problème, s’en remet à la gendarmerie. Si
l’affaire relève de la justice, elle se charge de transférer les personnes
en question à la prison de Sikasso. Mais une telle situation est très rare. De
manière générale la population parvient à régler ses problèmes dans la
discussion et le raisonnement. En ce sens les anciens représentent la sagesse,
le savoir. Ils sont là pour maintenir un équilibre grâce à leurs expériences
et leur capacité de réflexion. Tous
les lundis a lieu « le vestibule », une réunion entre le chef du
village et ses conseillers visant à faire un point hebdomadaire sur les
affaires de Niéna . Tous les conseillers sont égaux, deux Imams
participent aussi aux concertations. On fait parfois appel à eux pour savoir
s’il n’existe pas une solution religieuse qui mettrait fin à un conflit.
Le chef du village se réunit par ailleurs régulièrement avec le maire
et le sous-préfet, dans une bonne entente et chaque année avec ses confrères
du Ganadougou. Dans
tous les cas son influence est incontestable. Malgré son devoir de réserve en
politique, il a un droit de regard sur celle-ci pour éviter au maximum les éventuels
conflits. Sa place centrale au sein du village fait de lui un interlocuteur
privilégié pour aborder les sujets importants du village, à savoir
l’assainissement, l’exode rural, le développement économique, le système
de santé et la scolarisation que nous avons traité dans les différentes
parties de ce rapport. Ses commentaires ont alimenté notre réflexion. Il
regorge de projets pour le développement de son village, ce qui permettrait à
Niéna de participer activement à l’évolution du pays. Il lui semble
important que la région s’industrialise pour que les villageois puissent
travailler dans un secteur économique porteur. Cela freinerait l’exode rural
et permettrait à la ville de répondre aux besoins sanitaires et sociaux
indispensables. Il se rend bien compte que Niéna doit trouver son autonomie et
ne plus dépendre de Sikasso, notamment en matière de santé. A l’avenir Niéna
devrait être doté d’un centre de santé moderne, géré par un médecin
qualifié et muni d’un bloc opératoire. Par
ses actions l’association est à ses yeux un collaborateur privilégié pour
le développement du village, « Teriya est une lumière pour les Niénakas »
s’est-il exclamé. Le chef du village a beaucoup apprécié notre visite, c’était
apparemment la première fois que les jeunes de Teriya le rencontrait entre le
jour des présentations et le jour du départ. Il a expliqué que cette entrevue
était très importante pour lui et nous en a remerciée. Le chef du village
nous a très bien accueilli, ce fut une rencontre particulière et
enrichissante. Le maire de Niéna
Elu depuis 2003, à un siège d’écart avec l’ancien maire Seriba
Diallo, Monsieur Abou Diallo occupe désormais cette fonction. Il a à ses côtés
23 conseillers, 13 d’entre eux appartenant à son parti. Nous avons pu obtenir
un entretien avec lui pour aborder différents sujets. Parmi ceux-là figure
l’assainissement et l’organisation du marché dont le compte rendu figure
dans ce rapport. Il
a passé en revue les divers problèmes que subit la cité, comme le chômage.
Le manque d’emplois poussant les habitants à partir vers Sikasso ou Bamako
pour trouver un travail. Il souhaiterait par ailleurs que l’état construise
un lycée dans la ville, ce qui permettrait aux jeunes de rester au sein de leur
famille durant leurs études et de s’établir après à Niéna. Nous
avons aussi évoqué le phénomène de l’immigration ivoirienne, celle-ci étant
en recrudescence depuis les conflits en Côte d’Ivoire. Ils sont environ 940
à être venu demander une aide à la mairie pour avoir un logement, de
l’argent pour vivre. Le maire les aide à titre individuel, pour ce qui est de
l’alimentaire l’Etat malien a décidé de leur porter assistance en leur
offrant des vivres. Les directeurs d’écoles ont reçu comme directive
d’accueillir les enfants dans les classes. Dans l’ensemble, ils rencontrent
peu de problèmes d’intégration car beaucoup d’entre eux sont originaires
de la région de Niéna, ils pensent d’ailleurs rester vivre ici. Cet entretien fut cordial et a répondu
à bon nombre de nos interrogations. Le maire se tient au centre. Le
sous préfet
La fonction du sous préfet à été modifiée avec l’avènement de la décentralisation en 1999. Alors qu’auparavant il représentait l’ Etat, sa mission consiste aujourd’hui avant tout à appuyer, conseiller et assister la commune. Il travaille en étroite collaboration avec le maire et le chef du village pour assurer une cohésion au sein de Niéna, que ce soit dans les différents corps de métier, les religions, les partis politiques ou encore les litiges de terre. Monsieur
le sous-préfet nous a fait part du problème de mésentente politique à Niéna
qui empêche le bon développement de la ville. « Niéna est fracturé
entre les partisans de l’ancien maire et ceux qui soutiennent le nouveau. Il
faut trouver une stabilité, ici c’est très difficile de trouver un terrain
d’entente. Le conseil à 23 membres : onze d’un côté,
douze de l’autre et je suis là pour tamponner entre les deux partis ».
Il gère le quotidien car il ne peut pas prévenir les problèmes, mais
seulement tenter de les résoudre. Il se définit comme un partenaire au développement
du village, une tutelle en matière d’ état civil et de budget. Mr
Oumar Maïga effectue sa deuxième mandature, il a été nommé par un arrêté
ministériel à Niéna en Octobre 2003. Il semble particulièrement intéressé
par le projet de développement social et économique de la commune ( PDSEC )
qui regroupe les acteurs principaux de Niena ( les ONG, les techniciens, le chef
du village, le maire), pour mener à bien des entreprises aussi diverses que la
construction d’un barrage, l’amélioration du CSCOM ou la construction
d’une classe. De son point de vue l’administration a un rôle de médiateur
et il espère pouvoir avoir les moyens nécessaires pour réaliser un bon
travail. Lorsque nous lui avons demandé comment il envisageait sa future
collaboration avec Teriya, il nous a expliqué qu’il aimerait la rendre plus
vivante en donnant de la réciprocité au voyage, afin de permettre un véritable
échange culturel. Il également évoqué le manque de matériel, il aurait
besoin d’acquérir un ordinateur pour pouvoir correctement rédiger les
rapports annuels qu’il doit envoyer à l’ État. La
vie familiale
1-
Mariage et organisation de la famille.
En Afrique la notion de famille est complètement différente de la nôtre.
Alors qu'en Europe chaque individu a une appellation propre à son statut
familial ( cousin, belle- sœur, neveu...), le système africain apparaît
beaucoup plus simple: il fonctionne par génération, de manière horizontale. A
ce propos, Nelson Mandela explique: « Dans
la culture africaine, les fils et les filles des tantes ou des oncles sont
considérés comme des frères et des sœurs et non comme des cousins. Nous n'établissons
pas les mêmes distinctions que les Blancs à l'intérieur de la famille. Nous
n'avons pas de demi- frères ni de demi- sœurs. La sœur de ma mère est ma mère;
le fils de mon oncle est mon frère; l'enfant de mon frère est mon fils ou ma
fille. »[1].
Lors de nos entretiens avec un jeune, nous lui avons demandé s'il ressentait le
même amour filial pour son père que pour son oncle, et effectivement il nous a
répondu qu'il ne voyait pas de différence entre eux. Les familles africaines
sont groupées dans une même habitation (appelées concession) comprenant
plusieurs cases qui abritent tous les membres de la famille étendue. Elle est
dirigée par un chef de famille, l'homme généalogiquement le plus près des
ancêtres, auprès desquels il joue le rôle d'intermédiaire. C'est donc
souvent l'aîné. Il maintient l'ordre de la famille, juge les querelles, prend
des sanctions et organise les mariages. Enfin, il administre le patrimoine
collectif dont il est le gérant: terres, bétail, biens, etc. Moussa par
exemple, nous expliquait qu'en tant que chef de famille, il lui revenait de
payer la scolarisation de ses « fils », autrement dit pour nous ses
enfants et ses neveux. De même, aucun membre de la concession ne peut disposer
de l'argent sans consulter par avance ce qu'ils appellent « le conseil de
famille ». On nous a parlé plusieurs fois de situations délicates, où
une personne ne pouvait pas se faire soigner, parce que sa famille n'avait pas
donné son accord. Cette gestion est complexe, puisqu'elle prend à la fois
appui sur la collectivité mais repose aussi sur les épaules d'une seule
personne.
Une explication de cette complexité serait la pratique de la polygamie.
Par tradition, les africains peuvent prendre plusieurs femmes. Avant l'arrivée
de l'Islam, les hommes n'avaient pas de contraintes quant au nombre de femmes
qu'ils épousaient. Elles vivaient toutes sous sa tutelle, et résidaient dans
ce qu'on appelait une chefferie. Aujourd'hui, la majorité des maliens sont
musulmans, et suivent la parole du prophète qui réduit à quatre le nombre de
femmes que le croyant peut légalement épouser. Car pour eux il ne suffit pas
de se marier, encore faut- il pouvoir entretenir ses femmes sur un pied d'égalité:
c'est là une question non seulement d'équité, mais d'équilibre social. A
chaque fois que nous nous interrogions sur les raisons de la polygamie, les
hommes nous répondaient que c'était un bon moyen de réguler la société. Les
femmes sont en plus grand nombre que les hommes, et comme elles ne peuvent pas
travailler pour gagner de l'argent, elles doivent se marier pour subvenir
dignement à leurs besoins. Malheureusement, dans la réalité ce soucis d'équité
n'est pas respecté, ce qui provoque de nombreux conflits et des jalousies au
sein des foyers. Selon les propos de Baba Diallo, la polygamie est un moyen pour
l'homme de faire régner un climat d'angoisse et de soumission encore plus grand
sur les femmes: elles doivent satisfaire leurs maris, sans quoi celui- ci risque
de prendre une nouvelle femme ou de la délaisser en tant que partenaire sexuel.
Toutefois, cette pratique n’a pas que des aspects négatifs,
puisqu’elle permet également aux femmes de ne pas connaître la solitude et
de vivre dans une cohésion féminine leur donnant un certain pouvoir au sein de
la famille. Lors de notre séjour nous avons presque toujours vu les femmes
travailler et vivre en groupe.
Au Mali, bien que les mœurs commencent lentement à évoluer, le mariage
répond à des obligations morales et sociales codifiées. La plupart
du temps ce sont les parents qui décident du premier mariage de leur enfant et
ce parfois dès leur plus jeune âge. Le directeur de l’école publique,
Monsieur Coulouteré Ousmane Konaté, nous a affirmé que plusieurs jeunes
filles du collège étaient fiancées dès leur entrée en second cycle ;
elles n’ont alors pas plus d’une dizaine d’années. Après leur premier
mariage les hommes sont alors en droit de choisir leurs autres femmes mais ils
doivent toujours obtenir l’accord de leur famille. Certains d’entre nous ont
eu la chance de pouvoir assister à un mariage à Bamako grâce à Poupé. Cette
dernière nous a expliqué que pour un couple riche la fête dure une semaine.
Après s’être officiellement unis, les femmes amènent la mariée chez son époux,
où ils restent durant sept jours dans une même pièce, où ils reçoivent de
nombreux visiteurs. Nous avons participé à la fête des femmes précédant
l’arrivée de la mariée chez sa belle-famille. Celle-ci se déroule dans la
rue et est animée par une chanteuse qui reçoit de l’argent des convives tout
au long de la journée. Tout le monde danse, c’est la fête ! Mais
cela reste très codifié : les femmes se lèvent à des moments précis et
suivent un protocole qui nous échappe, comme
bien d’autres choses d’ailleurs.
Lors de l’union officielle les mariés signent la polygamie ou la
monogamie devant l’Imam. Une grande majorité des couples choisissent la
polygamie, la monogamie étant encore critiquée.
Nous avons demandé aux hommes pourquoi ils avaient fait le choix de
pouvoir prendre plusieurs femmes. Ils nous ont répondu que la religion et la
tradition le leur imposaient, qu’il était important de s’assurer qu’il y
ait toujours une femme au foyer si l’une d’entre elles venait à mourir. En
ce sens la polygamie ne signifie pas forcément avoir plusieurs femmes mais en
donne juste la possibilité. Beaucoup des hommes que nous avons côtoyé
n’avaient qu’une seule épouse, et cela pour différentes raisons,
qu’elles soient financières ou personnelles. De plus, pour eux, signer la
monogamie serait une démarche hypocrite puisque l’homme est naturellement
tenté par les autres femmes ( mais elles, doivent bien sûr rester fidèles…).
Ils pensent que les fréquents divorces et adultères en Occident sont dus à
notre attachement à des normes qui vont contre la nature humaine. Nous avons également
été frappés par l’importance des relations extraconjugales existantes à Niéna.
Celles- ci sont acceptées socialement pour le mari mais ne doivent pas pour
autant être ébruitées. Ces rapports sexuels multiples posent un problème
sanitaire grave. Le docteur Traoré nous a affirmé que 80% des nienakaises étaient
atteintes d’infections vaginales ou de M.S.T. et que dans ce cas là, il
fallait traiter le mari, sa maîtresse et toutes ses épouses.
Le mari prédomine dans la cellule familiale. A l’instar de ce qui est
écrit dans « Le règlement du mari » ci-joint, il décide de la
conduite de sa femme, et est le chef de famille au sens plein du terme. Nous
avons trouvé ce document sur le bureau du sous-préfet qui nous l’a
gracieusement donné afin que nous nous renseignions sur la question.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tout ce qui y est inscrit est sérieux,
et ne paraît pas aberrant aux villageois. Il n’est donc pas surprenant de
constater que les enfants appartiennent à l’homme, et dans le cas d’une
naissance extraconjugale, il choisira de le garder sous sa tutelle ou de le
renier. S’il décide de le reconnaître sans se marier avec la mère, ce sont
ses épouses légitimes qui l’éduquent comme leur propre enfant. Cette règle
est aussi appliquée dans le cas des divorces : la femme n’a aucun droit
de garde. En effet, si c’est elle qui demande la séparation, elle doit
quitter sa maison, ses enfants et ses biens. Voilà les raisons pour lesquelles
peu de femmes de Niena se risquent à demander le divorce.
Il nous semble que le mariage est un passage obligé pour l’acceptation
sociale. De toutes les personnes mûres que nous avons rencontré, seule une était
célibataire, et elle vivait à Bamako. Les coutumes tendent cependant à
changer, car beaucoup de jeunes, encore étudiants, restent célibataires plus
longtemps tout en ayant la volonté de se marier par la suite. Ils vivent alors
le plus souvent dans la concession familiale, participent aux activités
collectives (cf. les questionnaires), sans connaître la solitude. 2-
La répartition des tâches et l’éducation des enfants. La journée d’une femme (Téné, notre voisine). « A
6h du matin, je fais la lessive et lave les ustensiles. Ensuite, je balaye,
enfin je me lave et je lave les enfants. A 7 heure, je déjeune (de la bouillie
ou les restes du soir). A 8 heure, je pile le mil ou le maïs pendant au moins
une heure et je fais la cuisine. Ensuite je vais travailler au champs et je vais
apporter à manger aux hommes aux champs. Puis je déjeune. Je cuisine pour le
diner et à 20h je vais me coucher après la prière. »
Comme nous l’avons déjà dit, le schéma familial africain apparaît
rigide par sa structure très réglementée. Il répond à un mode de vie
ancestral où « les hommes suivent
le chemin tracé pour eux par leur père ; [où] les femmes mènent la même
vie que leur mère avant elles »[2].
La répartition des tâches au sein de la famille se fait en fonction du
sexe des personnes. L’homme travaille à l’extérieur, conserve le métier
de ses aïeux (le fils d’un forgeron devient forgeron), mais a généralement
plusieurs secteurs d’activité pour subvenir aux besoins de son foyer. Il
n’est pas rare en effet qu’il soit à la fois menuisier, agriculteur,
conseiller municipal, etc. Il devient alors « le trésorier » de la
famille. La femme, elle, représente le cœur du foyer. Elle passe ses journées
à piler le mil, cuisiner, remplir les différentes tâches ménagères et à
s’occuper des enfants. Elle est aussi très active sur le marché, en vendant
les récoltes du champ. Les deux univers n’interfèrent pas mais sont complémentaires.
Un homme n’assistera jamais à un accouchement car c’est une affaire de
femmes. De manière générale, la vie des nienakas s’organisent autour du
cycle solaire : levés vers 5 heures, ils se couchent souvent tôt.
L’absence d’électricité y est pour beaucoup. Les familles possèdent leur
propre champ, et tous les membres, y compris les enfants y travaillent régulièrement.
Ils sont également tous acteurs au marché le dimanche.
L’éducation des enfants diverge fortement de la nôtre car les
africains ont une conception fataliste de la vie. Face à la dureté de leur
existence, ils se sentent obligés de procréer en nombre pour assurer leur
descendance et une main d’œuvre suffisante. La mortalité infantile étant
importante, on attribut un prénom au bébé qu’une semaine après la
naissance. Cette tradition reflète déjà un rapport particulier à l’enfant
et à la vie. Les mères gardent toujours leurs bébés sur le dos, ont avec eux
un contact tactile omniprésent, mais ne laissent presque jamais entrevoir de
signes de tendresse selon nos critères occidentaux. Peut-on y voir un mécanisme
de défense ? Par la suite les enfants sont vite mis face à des
obligations. Ils s’occupent les uns des autres, participent aux travaux de la
famille, et apprennent à s’assumer. Nous les avons toujours vu en bande dans
la rue, sans la surveillance d’un adulte. Ils évoluent dans un univers qui
nous a semblé assez violent : la loi du plus fort prédomine même s’ils
sont solidaires. La rudesse de leur comportement a sûrement un lien avec leur
éducation stricte, où la chicote est de rigueur à la maison comme à l’école.
Notre expérience appuie cette hypothèse : les enfants se donnaient très
facilement des coups pour régler leurs conflits à la concession.
L’éducation des enfants consiste surtout à savoir se débrouiller
dans la vie, à travailler dur pour survivre. Elle tend à changer grâce à la
démocratisation de la scolarisation, mais elle répond toujours aux fondements
de la tradition. Leur conduite est dictée par la coutume, et ils suivent des règles
établies d’avance. De là vient sûrement la plus grande différence éducative
entre leur monde et le nôtre : alors que les enfants blancs apprennent à
s’ouvrir au monde par le jeu et le questionnement, les enfants noirs
apprennent à répondre aux nécessités quotidiennes. Cette affirmation de
Nelson Mandela nous semble parlante : « Les
premières fois où je suis allé chez les Blancs, j’ai été stupéfait par
le nombre et la nature des questions que les enfants posaient à leurs parents
– et par l’empressement des parents à leur répondre. Chez moi, les
questions étaient considérées comme quelque chose d’ennuyeux ; les
adultes donnaient simplement l’information qu’ils pensaient nécessaires ».
Une telle éducation explique peut- être l’importance des tabous dans la société
et leur attachement à suivre silencieusement une ligne de conduite préétablie. Lire les questionnaires des enfants
3-
L’excision.
Il s’agit d’un thème délicat que nous voulons aborder
tout en sachant qu’il est difficile pour nous de le comprendre. Nous avons pu
en parler avec plusieurs jeunes hommes ( Cf. questionnaire), le personnel de la
santé ( les matrones, les élèves infirmières, le docteur Traoré et Baba
Diallo) et nos voisines. L’excision provient d’une tradition ancestrale qui
a ensuite plus ou moins été légitimée par la religion musulmane. Le Coran
est ambigu à son sujet puisque le prophète conseille l’exciseuse Um Atiya :
« N’opère pas de façon radicale
[…] c’est préférable pour la femme. » Il
existe en effet quatre types d’opérations : Selon
le personnel soignant presque la totalité des niénakaises sont excisées.
L’ablation totale du clitoris reste la pratique la plus communément usée. Si
auparavant il s’agissait de la marque du passage de l’enfance à l’état
adulte, aujourd’hui elle s’effectue de plus en plus jeune, dès l’âge
d’un mois, afin d’éviter les éventuels traumatismes.
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’excision est une
affaire de femmes. Ce sont les mères, les grands-mères ou les belles-mères
qui décident d’amener l’enfant chez l’exciseuse. Celle-ci appartient à
la caste des forgerons et utilise pour l’opération des ustensiles tels
couteaux, ciseaux, lames de rasoir et même bouts de verre !
En général plusieurs petites filles sont excisées durant la même cérémonie.
Elles restent chez les exciseuses durant sept jours attendant que la plaie
commencent à cicatriser. A leur retour les familles peuvent organiser ou non
une fête en son honneur. Il arrive que des pères ne soient pas mis au courant
de l’excision de leur fille, ce qui les exclu d’une partie de la gestion des
affaires familiales.
Alors que la circoncision se pratique au centre de santé,
l’excision se fait encore dans des conditions d’hygiène déplorables. Il
est rare que les instruments utilisés soient nettoyés entre chaque opération,
ce qui augmente le risque d’infection et de transmission de maladies. De même
les matrones nous ont toutes dit que la mutilation du clitoris entraînait une
rigidité pelvienne dangereuse lors de l’accouchement. Les épisiotomies sont
nombreuses. « L’Organisation
mondiale de la santé a publié de nombreux rapports sur les conséquences
physiques et psychologiques de telles mutilations : septicémies,
infections génitales, rétention d’urine, hémorragies, kystes dermoïdes,
infections pelviennes pouvant aller jusqu’à la mort, sans compter une
frigidité bien naturelle après de tels agissements : 85% des femmes excisées
et infubilées sont totalement frigides et 10% sont stériles. »[3]
Les niénakas pensent néanmoins que cette pratique doit perdurer : pour
eux c’est plus hygiénique, la femme plus pure peut ainsi mieux prier, échapper
à la sorcellerie et surtout être fidèle à son époux. Les jeunes nous ont
tous affirmé qu’une femme excisée est plus convenable et moins tentée par
les désirs charnels : « Ses
sentiments amoureux sont diminués » disent-ils. Ce
sujet est doublement tabou car il est rattaché à la fois au corps et au sexe,
deux thèmes dont on ne parle jamais. Il démontre une relation au corps qui
nous apparaît violente et représentative de leur appréhension de la vie. Les
conséquences de cette pratique sont passées sous silence ou tout simplement
pas mises en relation avec l’excision : « En Afrique, personne ne lie ces maux à l’excision. D’ailleurs les
femmes ne peuvent faire de rapprochement, car elles ne parlent jamais de cela
entre elles. Lorsqu’une mère ou un bébé meurt pendant l’accouchement, on
dit que c’est Dieu qui l’a voulu, que les femmes sont nées pour souffrir. »
(Khadidia Diawaru) Cette
absence de remise en question démontre bien l’ancrage de cette pratique dans
les mœurs. Tout d’abord choqués par les paroles de Fla Adama qui nous disait
qu’on ne pouvait lutter contre, nous pensons désormais que le changement sera
long et fastidieux. Lire les questionnaires sur l'excision
Notre amitié avec les infirmières stagiaires du CESCOM nous a permis
d’entrevoir la complexité du rapport entre les nécessités nouvelles et
les
traditions. Beaucoup plus émancipées que les autres femmes, elles font
des études loin de leur famille et jouissent d’une certaine liberté. Ce
n’est pas pour autant qu’elles remettent en question les coutumes :
Adja nous expliquait qu’elle exciserait sa fille tout comme elle l’a été
à la différence près qu’elle l’opèrera elle-même afin d’éviter les
risques d’infection, Sita va bientôt s’unir à un homme qu’elle n’a pas
choisi, etc. En
ce sens, nous pensons que la plupart des Maliens aspirent à une ascension
sociale, sans pour autant interroger la légitimité des codes sociaux. La
question maintenant est de savoir si cette amélioration économique aura à la
longue des répercussions notables sur leurs mœurs et d’en évaluer les
modalités. La
religion et les traditions.
Nous avons
rencontré Kasim Samaké, le plus important Imam de Niena. Il nous a accueilli
chez lui, et a bien voulu répondre à toutes nos questions. Kasim Samaké ne
parlant que très peu le français mais le comprenant assez bien, nous avons eu
besoin d’un interprète pour faciliter la discussion. C’est Moussa Diallo
qui nous servi de traducteur. A Niena, environ
90 % des habitants sont des musulmans et cohabitent avec les chrétiens et la
population en général sans aucun problème. Seulement en ce qui concerne les
chrétiens ils ne se fréquentent pas beaucoup et s’évitent un peu, car ils
n’ont pas les mêmes habitudes. Les chrétiens font le carême, mangent du
porc, peuvent éventuellement boire de l’alcool etc…. Ils ont envisagé de
faire une réunion en commun, afin
de débattre de certains sujets de la vie quotidienne des habitants. Mais ils
n'en ont encore jamais eu l'occasion. L’imam
entretient de bonnes relations avec
le Maire et le chef du village. Il a une influence certaine sur la population.
Sur beaucoup de sujets les villageois adhèrent à ses idées. Régulièrement
il fait des interventions à la radio. Cependant il arrive aussi qu’il soit
peu écouté (cela dépend du sujet abordé). D’après lui,
les Nienakas sont de bons musulmans, « ils font selon leur capacité »
. Niéna comprend neuf mosquées et
neuf imams. Il y a cinq appels à la prière par jour, "Pour être en
contact direct avec Allah ". Le premier à cinq heure du matin, le second
à treize heure, et les trois derniers à seize heure, dix neuf et vingt heure.
Selon l’heure la prière est différente. Il y a une très
bonne entente entre les différents Imams de Niena, il existe d’ailleurs une
association, Imama, regroupant ces derniers. A Niena il n'y a
pas d’imams venant de l’étranger, mais au Mali beaucoup d’imams sont
originaires de Guinée et d’Algérie. Ils sont généralement très bien
accueillis, cela dépend du niveau d’éducation coranique, ainsi que des
relations entretenues avec la population locale. Pour devenir
imam, il faut d’abord une bonne instruction coranique ainsi que de bonnes
connaissances sur le monde, il est aussi nécessaire d’avoir un comportement
adéquat, c’est à dire être accueillant, tolérant, généreux, et enfin
demander l’autorisation au chef du village. L’Imam Kebir, le chef des Imams,
est élu par l’ensemble des imams locaux sans distinction d’âge. Nous nous
sommes également entretenu sur l'école Medersa. Kasim Samaké, que nous avions
déjà rencontré dans le vestibule chez le chef du village, nous avait fait
comprendre qu’il souhaiterait que les « bougivalais » soient
renseignés sur la réalité de ces écoles afin qu’une collaboration puisse
être mise en place. Il nous a précisé
la différence entre cette école et l'école coranique. Cette dernière n'est
pas payante, oblige les enfants à mendier, ne contient que des garçons et est
basée uniquement sur la lecture et l’apprentissage, par cœur, du Coran ne
tenant pas compte des évolutions du monde. En revanche, les
écoles Medersa sont payantes, mixtes et suivent le programme du CAP, établit
par l’état. En ce qui concerne la religion, les élèves étudient
l’histoire coranique ainsi que l’histoire chrétienne. L’école cherche à
évoluer avec l’avancée du monde et rencontre régulièrement les
responsables du CAP, afin de rester dans les programmes établis. Les élèves
étudient en Arabe et en Français. Les matières étudiées sont : le Français,
l'Histoire Géographie, l'Anglais, la Théologie, les mathématiques etc…. A Niena il existe
quatre écoles Medersa. La plus ancienne à été créée il y a cinquante ans.
L’école Medersa, dont s’occupe Kasim Samaké, comprend 140 élèves et
dispose de 4 enseignants. Au fur et à mesure des années sa fréquentation
augmente. Les enfants commencent à partir de quatre ans et vont de la première
à la huitième année. Les
Protestants de Niéna
Au cours de ce voyage, nous avions la volonté de rencontrer les
instances représentatives des différentes religions présentes à Niéna. Pour
cela nous avons souhaité faire la connaissance du pasteur de l’église
protestante du village, mais celui-ci était parti en voyage pour plus d’un
mois. Nous nous sommes donc rendus chez Ibrahim Diallo, un chrétien protestant
converti depuis 1993, animateur de la radio Wateni. Aujourd’hui on recense cinquante-neuf chrétiens protestants à Niéna, dix dans le petit village de brousse d’Albenio et quelques-uns à Titchana. Ils vivent en une « communauté » de croyants dans laquelle ils peuvent pratiquer leur religion en communion. Ils célèbrent toutes les fêtes chrétiennes et basent leurs cultes sur la Bible, un ouvrage que l'on trouve facilement à Sikasso en plusieurs langues: Français, Arabe, Sérufo et Bambara.
Il nous a expliqué que cela fait vingt-cinq ans que les chrétiens
protestants ont commencé à prier dans la zone de Ganadougou « pour qu’il
y ait une église ». Au tout début de leur installation, ils priaient
tous les dimanches sous un hangar de la C.M.D.T. et chaque vendredi ils
renouvelaient leur prière collective dans la nuit « pour recevoir une église
en cadeau de Dieu ». Un missionnaire américain s'est intéressé au
Ganadougou, et est venu s'y installer avec sa famille et un pasteur africain, il
y réside toujours aujourd’hui. Cet homme a adressé une lettre à la
communauté protestante des Etats-Unis qui leur a envoyé de l’argent afin de
financer la construction de la première église protestante de la région. Les
Niénakas ont tenu à participer à la construction de l’église, ils ont
ramassé les pierres, fait don d’eau et de sable. Les ouvriers principaux étaient
maliens et le superviseur des travaux américain. L’entretien de l’église
est maintenu grâce aux dons des chrétiens. Les
protestants de la région se sont en général convertis, parfois en familles
entières. Ils naissent souvent de confession musulmane. Ce changement de
religion peut poser des problèmes au niveau de la structure de la famille. En
effet, les protestants sont monogames et les musulmans polygames. De ce fait,
des compromis se sont instaurés pour permettre plus facilement le passage d'une
religion à une autre. Dans le cas par exemple où un homme vient se convertir
et qu’il possède déjà deux femmes, il gardera les deux, en dépit du souci
des protestants de respecter la monogamie. Il ne pourra par contre pas prendre
une troisième épouse. La femme peut également décider de changer de religion
avant son propre mari, mais par la suite c’est l’homme qui la guidera et lui
enseignera ce qu’est le christianisme. Nous
avons ensuite souhaité connaître qu’elles étaient les conditions de vie des
chrétiens dans un milieu rural en majorité musulmane. Ibrahim Diallo nous
expliqua alors qu’au début beaucoup de personnes étaient venues pour se
convertir, pensant qu’elles recevraient une somme d’argent et comme ce n’était
pas le cas, beaucoup sont reparties déçues. Ils ont ainsi pu faire le tri
entre les vrais chrétiens et les faux. Par ailleurs l’intégration des chrétiens
n’est pas toujours facile, certains jeunes qui souhaitent se convertir sont
obligés de se cacher car ils ont peur de la réaction de leur famille. Leur
différent mode de vie peut les écarter de la vie sociale traditionnelle: il ne
leur est plus possible d'inviter leur famille à manger puisque la nourriture
chrétienne n’est pas « Hallal ». Nous souhaitions savoir si les
unions entre chrétiens et musulmans étaient possibles dans la région et
visiblement cela a été accepté au fur et à mesure de leur intégration au
sein de la communauté. Un chrétien peut se marier avec une musulmane, cela
rentre de plus en plus dans les moeurs de chacun. On
ne peut pas dire que les protestants soit rejetés par la communauté musulmane,
ils sont tolérés, cohabitent avec sans trop de difficultés mais ils restent
tout de même en marge de la société dans la mesure où ils ne participent
plus aux réunions familiales et villageoises qui soudent une communauté. De même,
si tous les habitants étaient enterrés dans le même cimetière quel que soit
leur religion, d'ici peu un deuxième lieu d'inhumation sera ouvert pour les séparer. Après
cet entretien riche en informations nous avons visité l’église et nous avons
pu constater son très bon état, sa propreté et les quelques instruments :
djembés, bolis, guitare, que nous n’avons pas l’habitude d’apercevoir
dans les nôtres. Nous avions souhaité participer à leur messe du dimanche
afin de découvrir une ambiance musicale toute particulière mais cela n’a pas
était possible en raison de notre emploi du temps chargé. Le féticheur
Au cours de ce voyage
nous désirions rencontrer des marabouts et féticheurs afin d'accéder à un
milieu mystérieux qui nous intriguait beaucoup. Moussa nous a expliqué qu'il
n'y avait plus de féticheurs renommés à Niena depuis quelques années, et
qu'il préférait nous faire rencontrer quelqu'un de sûr. Deux d'entre nous, Céline
et Muriana, ont eu la chance de
pouvoir aller chez un féticheur de grande renommée de passage à Niena
accompagnée de Moussa.
Nous
sommes rentrées dans sa case où étaient assis sur une natte trois hommes âgés
silencieux. Moussa nous a présenté, a expliqué que nous voulions connaître
notre avenir et a demandé si cela était possible. Le féticheur a alors
commencé à jeter des coquillages blancs par terre, puis les a examiné. Il a
ensuite dessiné des lignes et des barres qui nous semblaient incohérentes sur
un cahier. Elles sont censées représenter les ondes que nous dégagions, et
lui révéler ainsi après un calcul spécifique des informations sur notre vécu
et notre avenir. Il nous a expliqué qu'une telle entreprise nécessitait plus
de temps, et nous a invité à revenir pour nous connaître mieux et approfondir
certains détails. Il nous a toutefois demandé si on nous avait déjà sollicité
pour un sacrifice de mouton en France, pour nous aider à écarter le mal qui
nous guette. Face à notre réponse négative, il nous a dit qu'il serait sûrement
nécessaire de recourir à un sacrifice d'ici peu.
Il a tenu à nous montrer ses papiers et ses cartes prouvant sa renommée.
Au Mali, il existe des cartes officielles de féticheur et de tradithérapeute
pour prouver qu'il s'agit de professions agréées par l'état. Elles sont
attribuées grâce au renom et au succès des personnes concernées. Notre féticheur,
par exemple, a reçu une autorisation spéciale des autorités pour oeuvrer dans
un village en quarantaine depuis la présence d'une maladie inconnue mortelle.
Il a également été appelé à Niena il y a plusieurs années pour retrouver
un escroc qui avait détourné beaucoup d'argent. C'est grâce à son pilon
magique qui le guide à travers le village que le voleur a ainsi été retrouvé.
Ce pilon, très lourd, a la particularité de ne pouvoir être soulevé que par
le féticheur.
Nous sommes revenus le lendemain soir, il faisait déjà noir. Il a
souligné notre retard mais nous a quand même reçu. L'ambiance était
impressionnante de par l'obscurité et les bruits nocturnes. Nous nous étions
soudain prises au jeu et nous espérions entrevoir quelque chose de notre
avenir. Mais nous avons été un petit peu déçues car il nous a juste prédit
quelque chose d'impersonnel: que l'on connaîtrait un jour un grand malheur et
qu'il fallait pour le détourner sacrifier 7 Kolas, 17 galettes de Mil, et un
poulet chacune. Les sacrifices consistent à offrir des aliments aux personnes
vieilles et démunies. Nous
n'avons pas voulu tuer de
poulets... laissons place au mystère de la destinée! Le tournoi de foot
Chaque
année, au mois d’août est organisé à Niena un tournoi de foot, regroupant
une vingtaine d’équipes. Les équipes sont constitués soit de gens du même
quartier, du même corps de métier
ou bien tout simplement de groupe d’amis. Le tournoi se déroule sur le petit
terrain de l’école publique et dure plusieurs semaines, deux matchs par jour
sont organisés l’après midi à partir de 16 H 30. Le football est le sport
le plus pratiquer à Niéna, voir le seul. L’engouement
autour de se tournoi est impressionnant, chaque après midi il n’est pas rare
de voir plusieurs centaines de spectateurs, hommes, femmes, enfants, se délecter
du « spectacle » proposé. Commentant chaque action, prenant plaisir
à rire lorsque un joueur s emmêle les pinceaux, et toujours près à bondir
pour fêter le but victorieux. Certains joueurs jouent en sandales, d’autres
en chaussures de foot, l’esprit y est bon enfant, et malgré un gros
engagement physique, les joueurs restent très discipliné sur le terrain, il
n’y a aucun débordement, « l’arbitre veille ».
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